Son célèbre château, ses maisons de pierres blanches, son pont qui se dresse fièrement au-dessus de la Loire, ses commerces, son marché dominical, ses artistes et artisans… Sont autant de lieux et de protagonistes qui font battre le cœur de la ville de Langeais. Son passé historique et sa douceur de vivre inspirent les auteurs contemporains qui trouvent en Langeais, une source d’inspiration inépuisable !

La rencontre entre deux artistes, dans un lieu chargé d’histoire

La région a vu naître et a accueilli de nombreux poètes et écrivains qui se sont inspirés des paysages de la Touraine et de ses nombreux villages. C’est le cas d’Aude Berger, auteure, écrivaine et artiste française, spécialiste de la poupée contemporaine de collection, qui habite non loin du Lac de Hommes et du site des faluns de Channay-sur-Lathan. Elle décrit ses balades en Touraine, rythmées par la Loire, la faune sauvage locale et les différents paysages ligériens. 

Cet été, lors d’un détour dans l‘Atelier de la Lune, atelier de la sculptrice Hélène Sellier-Duplessis à Langeais, Aude Berger a ressenti le besoin d’écrire les émotions qui ont pu la saisir en ces lieux. Hélène fait partie de cette grande famille de créateurs, céramistes, sculpteurs et conteurs via la matière. Situé en face du château de Langeais, au sein de la Maison des 3 rois, l’une des plus vieilles maisons de Langeais (datant du XVe siècle et probablement construite en même temps que le château), l’atelier de la sculptrice présente des œuvres à la fois onirique et enchanteresse. Un monde dans lequel nous prenons plaisir à nous laisser transporter.

La Maison des Trois Rois à Langeais

 

Immersion dans l’Atelier de la Lune, d’Hélène Sellier-Duplessis, sculptrice à Langeais

Hélène Sellier-Duplessis dans son atelier à Langeais

 

“ C’est cachées aux fureurs du monde – comme il est souvent dit de ces univers – que l’on découvre avec étonnement mais aussi un grand apaisement les créations de Hélène Sellier- Duplessis qui sculpte depuis plus de trente ans.

Pour ma part c’est dans une église tout près du château de Langeais qu’à pas feutrés je découvrais centaures, êtres énigmatiques de céramique revêtus, créatures oniriques, démiurges impassibles … L’église St Laurent s’était parée de lichens, de feuilles et de mousse pour accompagner cette danse ludique. Tantôt surélevés sur une large estrade, tantôt sur des podiums, toujours d’écorce et lierre enchevêtrés, on faisait corps avec l’essence de ces esprits incarnés dans la matière pour refondre l’univers et en offrir un tout autre aspect, ici place au recueillement et aux délicats murmures entre ce monde peuplé de mystères et les visiteurs attendris; la nef parsemée d’éclats de bois et de branches recueillait les confessions du petit peuple étrange pour certains, familiers pour les amoureux de « l’autre côté ».

Il faisait frais dans cette église, là où – comme me le disait Hélène – les hiboux avaient élu demeure. Le temps se suspend : une source, une forêt, un sentier de vert paré embaumant les sous bois, des petites tours agrémentant les personnages se font l’écho du patrimoine et des paysages Tourangeaux, de l’univers de Marc Peltzer qui peint un Paris médiéval, avec ses poutres, ses escaliers d’époque, sa palette de bleus, ce monde propice à la rêverie et contemplation est restitué dans la terre et le grès, la porcelaine, la Rouchouze le matériau plébiscité en Touraine d’où jaillira un bestiaire envoûtant : dryades éthérées aux visages blancs comme nacre, aux délicates mains déliées frôlant tel un phalène le flanc et les épaules.

Chuchotements des protagonistes de ce prodigieux univers que j’affectionne particulièrement né dans une si riche région; leurs secrets semblent impénétrables, délicats, confiés sur une branche, à l’abri des regards tels les esprits de la forêt « les Kodamas » tirés des films d’animation des célèbres studio Ghibli au Japon; entrebâillez la porte ( sculptée à même leurs corps ) ils vous ouvrent leurs cœurs à l’instar de ces êtres alanguis sur un banc, une sculpture attendrissante d’Hélène mettant en scène un couple candide tendrement enlacé.

La douceur, la clarté des émaux aiguisent nos rétines, suscitent l’étonnement. Tout est pensé et équilibré de façon à ne rien brusquer même si les centaures – pour ne citer qu’eux – , sont l’incarnation de la force tellurique; on entend le chant des merles, le croassement des corbeaux peu mélodieux mais contrebalancé par la douceur des êtres hybrides qui les bercent ( ici rien ni personne n’est exclu ) dotés de cornes, drapés d’une parure médiévale et protégés sous des petites cloches surmontées de tours, juste en face du château …

Là, dans l’atelier d’Hélène, tout semble permis dès que l’on franchit la porte de ce monde fantasque où l’on revisite un temps non encore révolu … un sortilège intriguant car l’artiste fait revivre et renaître des émotions qui appartiennent – on aurait tendance à le croire – au passé… Cependant que les arbres centenaires déploient leur superbe non loin des faluns, des sentiers de la Rouchouze, des bords de Loire, des combles des édifices immortels, ces châteaux et ces ruines attirent des visiteurs du monde entier, depuis la maison de Balzac jusqu’à la demeure estivale de Camille Claudel et de Rodin, la pierre et la terre entrelacées, les éléments, le chant des oiseaux, les roucoulements des pigeons, font le décor du temple magique … C ‘est tout cela à la fois qu’ Hélène recompose comme le tableau d’une vie et région où les sites troglodytes et les carrières inspirent tant d’artistes de génération en génération, son père sculpteur aussi a transmis sa passion à sa fille…

Oui le temps se suspend, les saisons, les siècles pérennes s’entrecroisent, se superposent : un personnage glané sur une brocante, la jambe brisée, est transfiguré en partie en dryade : une branche dotée de feuilles et sculptée dans la terre succède à la jambe manquante, seconde naissance, genèses et incarnations des êtres se mélangent en évoquant de nouveau toute l’histoire et le patrimoine de Touraine.

L’atelier situé juste en face du château fut la demeure de l’architecte, la maison des 3 Rois, vers l’an 1430, atelier qu’elle a baptisé « atelier de la Lune » si serein et empli d’objets divers, de bois et de squelettes de rongeurs, curiosités esthétiques, clefs rouillées patinées dans leurs jus, là trône le maître des lieux : le four où par couches successives on enfourne les sculptures avant de les peindre, les vernir, les colorer, les émailler, autour d’un thé … les ateliers de création sont un pur moment de partage dans la détente et la confession puisque Hélène pratique l’art thérapie.

Lieu doté d’une âme, salvatrice à bien des égards, d’une mémoire qui entre en résonance avec ses esprits élancés, omniprésents, toisant l’invisible, loin des tourments, sous une horloge ou les créneaux des citadelles, ses êtres minuscules en côtoient d’immenses, graciles, imposants ou à la force tranquille, vivaces, aux couleurs des ocres, des fougères et des feuilles; accrochées aux pierres des édifices, les ronces lézardent, scandant les saisons, recueillant les palabres telle la Vierge surplombant la porte fortifiée du village de Rillé, seule trace importante de la fortification médiévale, l’univers d’ Hélène Duplessis redonne vie à des vestiges, des sujets, des santons se fondant à la personnification de la nature et vice – versa, telle une valse, la course effrénée du temps ralentie, éternelle, et les ronces, le lichen, les feuilles ceignant les corps et les fronts des personnages nés de son imagination ou extirpés du passé resurgissent sous ses mains de sculpteur.

On évoque volontiers un conte de Jean Cocteau, un récit de Jean-Jacques Rousseau, entre fantastique et évidence tangible et fondamentale : la nature comme réalité concrète de notre environnement. Ces sculptures ne sont jamais éloignées d’une relique, de la photo d’ancêtres capturés dans le grès, Hélène les fait revivre non loin du bruissement d’un cours d’eau, du frémissement du vent dans les trembles, je songe au long métrage D’Agneska Holland « Le jardin secret », on glisse dans la serrure la clef porteuse de rêves et de découvertes pour s’enfoncer dans un ailleurs, sa revivance par le truchement de la matière, de son imagination débridée, connectée aux sensations, aux racines du monde, aux souvenirs et on pénètre dans le royaume, tout à la fois berceuse et cantique, tenace comme le lierre qui n’admet pas l’oubli et se fixe dans nos mémoires enrayant l’éphémère.

Jamais je n’oublierai cette incroyable découverte et ces bleus purs qui me font penser aux îles grecques, aux émaux portugais, ces vert bouteille et blancs qui s’épousent parfaitement comme les toiles de Serguei Smirnov, les bleus de Marc Peltzer, les personnages aux traits si particuliers et fluides de Modigliani.

« J’enfonce mes doigts dans la terre pour la pétrir et lui donner une forme, la forme de mes émotions, entre ciel et terre, les profondes racines séculaires, l’envol du papillon frôlant le firmament sont les témoins de nos fugaces vies revisitées dans la matière et pour toujours. Au dos des émaux, broches et colliers, on lit, en toutes lettres, l’inscription « AMOUR ». ”

 

Un joli texte d’Aude Berger

 

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